Dans l’imaginaire collectif, la Lune a toujours suscité un intérêt particulier, mêlant fascination et questionnements.
Depuis les premiers pas de l’Homme sur cet astre en 1969, la question de la propriété de la Lune est devenue un enjeu majeur pour les États et les entreprises du secteur spatial.
Au-delà des aspects scientifiques et technologiques, c’est une question juridique et politique qui se pose aujourd’hui : à qui appartient la Lune ?
Nous tenterons d’apporter un éclairage exhaustif sur ce sujet complexe en abordant les différentes dimensions qui entourent la question de la propriété lunaire, en revenant sur les traités et accords internationaux qui encadrent l’exploration et l’utilisation de cet astre, ainsi que sur les projets et les ambitions des acteurs étatiques et privés dans cette nouvelle course à la Lune.
Le cadre juridique international : un bien commun de l’humanité ?
Avant de nous intéresser aux revendications et projets des différents acteurs concernés par la Lune, il est essentiel de comprendre le cadre juridique international qui encadre l’exploration et l’utilisation de cet astre. En effet, plusieurs textes et accords internationaux ont été élaborés au fil des décennies pour tenter de répondre à cette question cruciale.
Le Traité de l’espace de 1967 : aussi appelé « Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes », ce traité a été adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies le 19 décembre 1966 et est entré en vigueur le 10 octobre 1967. Il constitue le principal texte juridique régissant l’activité spatiale et établit plusieurs principes fondamentaux :
- La liberté d’exploration et d’utilisation de l’espace, y compris la Lune et les autres corps célestes, par tous les États, sans discrimination ni restriction.
- L’interdiction de soumettre la Lune ou tout autre corps céleste à la souveraineté nationale, de revendiquer leur possession ou d’en établir des frontières.
- L’usage pacifique de l’espace, avec une interdiction d’implanter des armes de destruction massive ou des installations militaires sur la Lune ou tout autre corps céleste.
- La responsabilité des États pour les activités spatiales, qu’elles soient menées par des entités gouvernementales ou non-gouvernementales, avec une obligation de contrôle et de supervision.
- La coopération internationale dans l’exploration et l’utilisation de l’espace, avec un partage des connaissances et des bénéfices pour le bien-être de l’humanité.
Cependant, si le Traité de l’espace pose les bases d’un régime juridique international pour l’exploration et l’utilisation de la Lune, il présente certaines limites et ambiguïtés, notamment en ce qui concerne la définition des droits et obligations des États et des acteurs privés, ainsi que la question de l’exploitation des ressources lunaires.
L’exploitation des ressources lunaires : un enjeu économique et stratégique
Si la Lune n’est pas soumise à la souveraineté nationale, cela ne signifie pas pour autant qu’elle ne peut être exploitée ou utilisée à des fins économiques ou scientifiques. En effet, les ressources lunaires, telles que l’eau, les métaux rares ou l’énergie solaire, représentent un potentiel considérable pour les États et les entreprises du secteur spatial, qui cherchent à développer de nouvelles technologies et à étendre leur présence dans l’espace. Cela soulève donc la question des droits et des obligations liés à l’exploitation de ces ressources, ainsi que des enjeux économiques et stratégiques qui en découlent.
L’Accord sur la Lune de 1979 : en réponse aux lacunes et aux ambiguïtés du Traité de l’espace, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté le 5 décembre 1979 un nouveau texte, l’Accord sur la Lune, qui vise à compléter et à préciser les dispositions du traité précédent. Cet accord établit notamment les principes suivants :
- La reconnaissance de la Lune et des autres corps célestes comme « le patrimoine commun de l’humanité », avec une gestion internationale et équitable de leurs ressources et de leur exploitation.
- L’interdiction de toute appropriation ou revendication de souveraineté sur la Lune, que ce soit par des États ou des acteurs privés.
- La nécessité d’établir un régime international pour l’exploitation des ressources lunaires, avec des mécanismes de partage des bénéfices et des connaissances, ainsi que des règles pour la protection de l’environnement lunaire.
- La promotion de la coopération internationale dans l’exploration et l’utilisation de la Lune, avec une participation équitable et non-discriminatoire de tous les États.
Malgré ces avancées, l’Accord sur la Lune n’a été ratifié que par un nombre limité d’États (18 à ce jour) et n’a pas été signé par les principales puissances spatiales, telles que les États-Unis, la Russie ou la Chine. De plus, cet accord ne résout pas toutes les questions liées à l’exploitation des ressources lunaires, notamment en ce qui concerne les droits et les obligations des acteurs privés.
Les ambitions et les projets des acteurs étatiques et privés
Face à ces enjeux économiques et stratégiques, ainsi qu’à l’absence de consensus international sur la régulation de l’exploitation des ressources lunaires, les acteurs étatiques et privés ne cessent de développer leurs ambitions et leurs projets en matière d’exploration et d’utilisation de la Lune. Dans cette perspective, plusieurs initiatives et programmes ont été lancés au cours des dernières années, témoignant de la renaissance de l’intérêt pour cet astre et de l’émergence d’une nouvelle course à la Lune.
Les projets étatiques : parmi les acteurs les plus impliqués dans l’exploration et l’utilisation de la Lune, on trouve bien sûr les grandes puissances spatiales, telles que les États-Unis, la Russie, la Chine ou encore l’Europe. Ces États ont mis en place des programmes ambitieux, visant à étendre leur présence sur la Lune et à exploiter ses ressources :
- Le programme Artemis de la NASA, qui prévoit le retour d’astronautes américains sur la Lune d’ici 2024, ainsi que l’établissement d’une base lunaire permanente et le développement de technologies pour l’exploitation des ressources lunaires.
- Le programme Luna-Glob de l’agence spatiale russe Roscosmos, qui envisage l’envoi de missions robotisées pour l’exploration scientifique de la Lune et l’étude de ses ressources, ainsi que la coopération avec la NASA pour la construction d’une station spatiale lunaire.
- Le programme Chang’e de l’agence spatiale chinoise CNSA, qui a déjà réussi à poser des atterrisseurs et des rovers sur la Lune, et qui prévoit des missions habitées à long terme, ainsi que l’établissement d’une base lunaire et l’exploitation des ressources lunaires.
- Le programme Lunaire de l’Agence spatiale européenne (ESA), qui ambitionne de développer un « village lunaire » international et de participer aux missions internationales d’exploration et d’utilisation de la Lune.
Les projets privés : en parallèle des initiatives étatiques, plusieurs entreprises et organisations privées se sont lancées dans la course à la Lune, avec des projets axés sur l’innovation technologique, l’exploitation des ressources lunaires et le développement du tourisme spatial. Parmi les acteurs les plus emblématiques de ce mouvement, on peut citer :
- SpaceX, la société fondée par Elon Musk, qui développe des véhicules et des technologies pour l’exploration de la Lune, tels que la fusée Starship, et qui prévoit des missions habitées et cargo, ainsi que des vols touristiques autour de la Lune.
- Blue Origin, l’entreprise de Jeff Bezos, qui travaille sur un atterrisseur lunaire, le Blue Moon, et qui envisage des missions d’exploration et d’exploitation des ressources lunaires, en coopération avec la NASA et d’autres partenaires.
- Moon Express, une start-up américaine qui ambitionne de développer des vaisseaux spatiaux pour l’exploration et l’utilisation de la Lune, ainsi que des services de transport et d’exploitation des ressources lunaires.
- Les initiatives internationales, comme le Google Lunar XPRIZE, un concours qui a encouragé le développement de technologies et de missions robotisées pour l’exploration de la Lune, ou encore l’International Lunar Observatory Association (ILOA), qui promeut la collaboration internationale pour l’observation et l’étude de la Lune.
Les défis et les perspectives pour la gouvernance de la Lune
Devant cette effervescence d’ambitions et de projets, la question de la gouvernance de la Lune et de l’exploitation de ses ressources devient de plus en plus cruciale et complexe. En effet, le cadre juridique international actuel semble insuffisant pour répondre à ces enjeux et garantir une utilisation pacifique, équitable et durable de cet astre.
Plusieurs défis se posent ainsi pour les acteurs concernés et la communauté internationale :
- La clarification et l’adaptation du cadre juridique, en tenant compte des évolutions technologiques et des nouveaux acteurs, notamment privés. Cela pourrait passer par la révision des traités existants, l’adoption de nouveaux accords ou la mise en place de mécanismes de gouvernance spécifiques à la Lune.
- La gestion des ressources lunaires et la prévention des conflits d’intérêts, en établissant des règles claires et équitables pour l’exploitation et le partage des bénéfices, ainsi qu’en renforçant la coopération internationale et la transparence dans les activités lunaires.
- La protection de l’environnement lunaire et la préservation du patrimoine commun de l’humanité, en développant des normes et des instruments pour minimiser les impacts négatifs des activités humaines sur la Lune, ainsi qu’en valorisant les aspects culturels, scientifiques et éducatifs de cet astre.
- La promotion de l’accès et de la participation de tous les États et acteurs à l’exploration et l’utilisation de la Lune, en favorisant les synergies, les partenariats et les échanges entre les différentes initiatives et programmes, ainsi qu’en garantissant un environnement compétitif et innovant pour le développement des technologies et des services spatiaux.
La question de la propriété de la Lune soulève des enjeux majeurs, à la fois juridiques, politiques, économiques et éthiques, qui dépassent les frontières nationales et les intérêts particuliers. Dans ce contexte, il est essentiel de repenser et d’adapter les mécanismes de gouvernance et de coopération internationale, afin de garantir un avenir pacifique, équitable et durable pour l’exploration et l’utilisation de cet astre fascinant et mystérieux.